Un carottage descendant à plus de trois mètres, au coeur de la tourbière du Peuil, a permit de reconstituer la végétation environnante et le climat au cours des 18000 dernières années.
Espace remarquable de notre commune de Claix, la tourbière du Peuil située à 975m d'altitude dans un contexte paysagé exceptionnel couvre environ 57 hectares. Elle a été classée périmètre sensible en 1989 et fait partie maintenant du parc régional naturel du Vercors. C'est une des rares zones humides de ce massif pour observer une flore et une faune variées.
Une étude archéologique concernant sa végétation au cours du temps a été effectuée, dont les résultats inédits ont étés portés récemment à la connaissance du public ( avril 2013) . Je vous propose de vous en faire part à l'aide d'explications succinctes tirées de ce rapport qui mérite toute sa place au sein de la connaissance de notre patrimoine communal.
Rappel sur la formation géologique de la tourbière
Le plateau du Peuil est formé par un pan de falaise du Vercors qui a glissé le long de la pente. Le plateau des Ramées a supporté des calottes glaciaires qui ont occasionné une surcharche et l'ont fragilisé il y a 200 000 ans à l'époque de la glaciation du Riss. Lors de la fonte du glacier, ce dernier a raboté les marnes situées sous la couche calcaire qui s'est retrouvée en surplomb et a glissé. Ce glissement s'est stabilisé durant la période inter glaciaire et ces blocs empilés ont formé le plateau du Peuil.
Bien plus tard est arrivée une autre glaciation, l'époque glaciaire du Wurm il y a 75 000 ans qui s'est terminée 16 000 ans avant notre ére environ. Ce deuxième glacier moins puissant que l'épisode précédent, s'est avancé sur le plateau amenant des produits plus fins que les blocs déjà en place. Ces derniers ont tapissé et colmaté tous les espaces entre les blocs, donnant un aspect compact, imperméable et légèrement en creux à l'ensemble du plateau.
Lors de la fonte glaciaire s'est donc installé naturellement un lac qui a évolué pour devenir « la tourbière du Peuil ».
Un carottage de trois mètres dix de profondeur a été réalisé en 2008 sous la direction de Jacqueline Argant, archéo-palynologue (spécialiste de l'étude des pollens) dans la partie Est de la zone humide dite de "la grande tourbière".
Les couches traversées sont constituées :
_de tourbe de 0 à 1,30 mètre
_de limon plus ou moins organique de 1,30 mètre à 2,39 mètres
_d'argile grise s'enrichissant à la base de 2,39 à 3,10 mètres
Ces sédiments ont donné lieu à une analyse pollinique, c'est-à-dire la recherche des pollens fossiles sue une série de 98 échantillons, en moyenne une analyse tous les trois centimètres. Le diagramme pollinique obtenu que je vais vous détailler permet de préciser, d'après les assemblages de pollens les différentes phases de l'évolution de la végétation et des conditions climatiques. A ce jour, la tourbière du Peuil est le seul site du Vercors permettant d'écrire l'histoire de la végétation et du climat sur plus de quinze millénaires.
DESCRIPTION DU TABLEAU DE L'ETUDE POLLINIQUE
A GAUCHE : ECHELLE DE PROFONDEUR DU CAROTTAGE
AU MILIEU : L'ETUDE SPECIFIQUE DES POLLENS DE LA TOURBIERE
- Sur fond blanc le contenu pollinique de ce carottage matérialisé par des courbes et des couleurs attribuées à chaque espèce végétale.
- Dans la partie gauche apparaissent les arbres
- Dans la partie droite les plantes herbacées
- Entre les deux en gris et jaune les proportions graphiques de ces deux catégories au fil du temps
A DROITE : LES CONTEXTES GENERAUX
- Les périodes climatiques et leurs appellations sur l'échelle du temps (BC= av JC) , elles sont appelées par les scientifiques "chronozones".
- Le graphique des températures. Au plus la ligne est à gauche il fait froid et à droite elle indique au contraire des périodes chaudes.
- Les occupations humaines dans notre région et leurs appellations culturelles. (Magdalénien et Azilien, situés à la fin du paléolithique. Puis les Sauveterrien et Castelnovien, le mésolithique, qui termine l'époque des chasseurs cueilleurs itinérants, ils sont dénommés ainsi par les préhistoriens en fonction de la technique de taille de leurs outils en silex. Puis vient la néolithisation avec la sédentarisation des hommes devenus pasteurs et agriculteurs. Premiers hommes à fabriquer des poteries, leur façon de les faire détermine leur dénomination à savoir chez nous le Cardial, le Chasséen et le Campaniforme. N'apparaissent pas afin d'éviter la surcharge du tableau, l'âge du Bronze, l'âge du Fer, l'époque Gallo Romaine, le Moyen-âge etc. )
Commentaires sur le diagramme pollinique
De 308 à 200 cm, de la fin du pléniglaciaire au Dryas ancien (vers 16000-12700 avant JC) : les valeurs élevées des pollens d'herbacées prouvent l'absence totale de forêt autour du lac qui occupe la cuvette après le retrait des glaciers de l'Isère. Sur les sols libérés par la glace et modelés par les ruissellements divaguant à leur surface, s'installe une végétation herbacée en mosaïque avec des plantes steppiques dans une pinède clairsemée, ainsi que quelques rares arbres pionniers, genévriers et bouleaux. C'est un paysage de steppe.
De 200 à 178 cm (Bölling): Le développement rapide d'arbustes et d'arbres pionniers, genévriers et bouleaux, est typique d'une importante amélioration climatique bien reconnue sur tous les sites voisins et correspondant au Bölling (entre 12700-11800 avant JC ). Les reconstructions climatiques révèlent généralement une augmentation des valeurs de température du mois le plus chaud de l'ordre de 5 à 6° durant cette période. Ceci explique l'explosion de la vie végétale constatée au cours de cette phase.
De 178 è 150cm (Allërod) : L'amélioration se poursuit et se traduit, sans transition, par l'installation d'une pinède, elle se rapporte à l' Alleröd ( 11800-11000 av JC)
De 150 à 125cm (Dryas récent) : La pinède reste la formation végétale dominante, malgré l'effet discret d'un refroidissement ( Dryas récent, 11000 à 9700 av JC) subsistent le bouleau et le genévrier. C'est la fin du Pléistocène
De 125 à 88cm (Préboreal Boreal) : Avec l'amélioration progressive des conditions climatiques, s'enchainent les importantes modifications du couvert végétal marquant l'installation des forêts de feuillus qui caractérisent le début de l'Holocène à partir de 9700 av JC jusqu'à nos jours. Le déclin du pin est compensé par le rapide développement du noisetier ( Boréal 8000 à 7000 av JC), puis par celui de la chênaie, ormes et tilleuls à l'Atlantique ( 7000 à 4000 av JC). Dans le même temps, et le sondage effectué entre 88 et 65 cm en atteste, le sapin commence à s'implanter avant de prendre son essor et de régner au cours du Subboréal (4000 à 800 av JC). Le hêtre apparaît également, mais il n'est pas probablement encore répandu au niveau de la tourbière. Il faut attendre la période suivante, le Subatlantique ( vers 800 av JC), pour qu'il prenne plus d'importance. Parallèlement, on enregistre des signes nets d'activité agricole et pastorale, phénomène qui s'accentue plus on remonte vers la surface. La forte baisse du sapin puis son déclin progressif au profit du hêtre et la présence régulière du pollen de céréales évoquent une déforestation par l'homme et le développement des cultures à proximité de la tourbière. Quelques noyers et épicéas semblent correspondre à des plantations modernes.
C'est sur la culture céréalière conjuguée à l'action de la déforestation par l'homme, que je voudrais conclure car elles sont un complément essentiel sur la connaissance de la vie de nos ancêtres il y a 3000 ans en arrière.
Défrichage Néolithique
Parallèlement à ce que nous venons de voir, l'archéologie traditionnelle démontre qu'au Néolithique dans les Alpes, les cultures s'effectuaient sur des zones défrichées au cours de l'automne comme le montre ici cette reconstitution. Mais les terrains n'étaient que partiellement épiérés et les grosses souches laissées en place.
La technique de dessouchage et d'épierrage en totalité avec constitution de pierriers sous forme d'amas, date de l'âge du bronze. De même nous savons que, toujours pour cette époque, des pics de silex pour défricher les souches sont fabriqués à Vassieux en Vercors.
Les amas de pierres
Sur le plateau du Peuil, des amas de pierres se découvrent en de nombreux endroits, en zones recolonisées par la forêt. Ils n'ont rien à voir avec nos pierriers cadastrés au XVIIIe siècle délimitant les parcelles de nos anciens mas. Il se pourrait donc que bon nombre de ces vestiges datent de la fin de l'âge du bronze (1000 ans avant JC) et de la période suivante l'âge du fer (à partir de l'an 800 av JC ). Cela coïncidant ainsi avec les observations polliniques sur les céréales que nous venons de voir sur le diagramme, ainsi que la déforestation par l'homme qui en découle à ces mêmes périodes.
Nous avons déjà eu l'occasion à de nombreuses reprises, d'évoquer l'archéologie de notre commune. Nous savons que des vestiges de l'âge du bronze et de l'âge du fer y sont répertoriés : Le Trou du Renard sur la colline de Comboire, à Cossey, dans les falaises La Balme sous Moucherotte au sud de château Bouvier, la grotte des Lucarnes située juste au-dessus de la tourbière, tout comme la grotte de La Poterie.
Ces nouveaux témoins de l'archéologie dévoilés par les analyses polliniques démontrant la pratique de l'agriculture renforcent notre savoir en la matière. Nous connaissions des traces matérielles laissées par les hommes sur Claix à la fin de la préhistoire, et dorénavant nous sommes certains de leur implantation durable à ces époques grâce à la présence établie de l'agriculture.
Bob Keller
Novembre 2013