Le port de Claix était jusqu’alors connu par un certain nombre de pièces d’archives (18 pour être précis) portant sur une période de quatre siècle (1270 à 1647) mais on ne savait pas le situer avec une certitude absolue.
Selon Auguste Bouchayer (le Drac, histoire d’un torrent, RGA T XIIII, 1925) le torrent se séparait au moyen âge en deux branches à la sortie de « la plage de Rochefort », la branche principale se dirigeant sur Grenoble. Selon lui, le port était situé « au droit d’une boucle » ce qui somme toute est assez vague comme localisation.
On peut aujourd’hui être plus précis grâce à une carte de 1754 récemment exhumée des Archives Départementales de l’Isère (Plan figuratif et démonstratif du mandement et territoire de Champagnier sur les confins du prôhème général et reconnaissance des années 1627 et 1654, 1 F1 2234) par Pierre Coing Boyat.
Cette carte est d’une parfaite lisibilité.
Mais avant de l’étudier en détail, rappelons brièvement les actes qui concernent le port de Claix.
Celui-ci est mentionné pour la première fois dans une donation du 7 mai 1270 faite par Guillaume de Claix, alors seigneur de la terre du même nom et prévôt de Saint André, au profit du chapitre de la cathédrale Notre Dame de Grenoble ; sont alors donnés, moyennant diverses redevances, le pont (il y avait donc déjà un pont sur le Drac) et le port de Claix. Quelles pouvaient être alors la nature de ce port, son origine et sa fréquentation ? On l’ignore totalement hormis le fait qu’il existait déjà (ADI B 4215, Regeste Dauphinois n° 10 838)
Trois ans plus tard, le 23 mai 1273, le même Guillaume de Claix cède également à Girard Beroard de Varces les droits et actions de l’eau de la Suze qui se jetait alors dans le Drac au port de Claix (ADI B 4391 et Regeste Dauphinois n° 11182). Il s’agit là, on le notera, d’une indication précieuse. Il faut ensuite attendre un tiers de siècle pour en trouver une nouvelle mention. Celle-ci apparaît le 14 juin 1307 : Jacques de Commiers, doyen et le chapitre Notre Dame « considérant que le port de Clasio tenu par leur procureur des anniversaires (ceux de l’encaissement des redevances fixées en 1270) ne leur est d’aucune utilité en raison de la destruction du pont et que les frais en barques, cordages, fournitures et mercenaires ne sont pas compensés… l’albergent – on parlerait aujourd’hui d’un affermage – et le cèdent en emphytéoses à Guigues Alleman, seigneur de Claix, pour deux livres de poudre annuelles, quatre de plaid, dix sols de cens bonne monnaie antique à leur maison de la Balme, deux à l’église de Claix, une obole d’or au Dauphin qu’ils lui devaient pour la garde du port et neuf livres à leur procureur des anniversaires (ADI B 4215 et Regeste n° 17101)
Peu après, en 1313, une enquête delphinale mentionne parmi les possessions du dauphin le « Portus de Cleysio » (ADI B 2949 f° 747).
Le 10 mai 1337, commission est donnée au juge majeur de Grésivaudan d’enjoindre aux seigneurs engagistes du port de Claix « de le tenir en bon état afin que tout le monde y puisse passer sans danger à peine de privation des émoluments (ADI B 4214 et Regeste n° 28612)
La même année est enregistrée une plainte auprès du conseil delphinal du fermier du port de Claix, Guillaume de Chalmètes : il expose qu’il n’est pas en mesure de payer le prix du fermage en raison des crues de 1333, 1334, 1335 et 1336 qui ont empêché durant de nombreux mois le fonctionnement normal du port (ADI B 3355)
Deux ans plus tard a lieu la fameuse enquête delphinale sur les biens du dauphin Humbert II, alors en négociations avec le pape et avec le roi de France pour la cession du Dauphiné. Le port de Claix est mentionné pour un revenu annuel de 40 florins, ce qui était considérable si l’on compare ce revenu avec ceux des gauchoirs et des battoirs pourtant fort nombreux (5 florins) et celui de la Leyde (les droits de marché) (2 florins) (ADI B 4443 f° 95 et Regeste n° 29519).
Peu après, le 21 juillet 1341, le port de Claix est encore cité à l’occasion de la confirmation d’accords antérieurs à divers chevaliers : l’acte est daté du « port de Claix ? du coté de Claix » autre précieuse indication (ADI B 4408, Regeste n° 31080).
Près de quarante années s’écoulent ensuite avant que l’on ne trouve mention, en 1380, d’une requête adressée aux auditeurs de la Chambre des Comptes du Dauphiné par le fermier du port de Claix « à raison des ravages causés par les eaux du Drac en 1373 » (ADI B 3355). Les comptes consulaires de Grenoble des années 1381 et 1382 font état de travaux de défense du port de Claix par la construction d’arches (ouvrages en bois et pierre établis transversalement au torrent pour en limiter les effets) (Archives communales de Grenoble, CC 574).
En 1382, le port est affermé à Jean Raffin pour 150 florins annuels (ADI B 2707). Cinq ans plus tard, il est de nouveau affermé cette fois à Marin de Bordary (ADI B 2707).
Dans l’état de la valeur du Dauphiné établi entre 1400 et 1402, le pontonnage de Claix apparaît pour une valeur de 115 florins. Puis intervient en 1403 la visite faite au port de Claix par Jean de Ganson et Guillaume Thibaud, commissaires grenoblois, venant de Vizille. On doit de connaître cet acte en raison du remboursement de leurs frais de déplacement consignés dans les comptes des deniers consulaires de Grenoble (Archives communales de Grenoble CC 577).
Près de deux siècles s’écoulent encore et le 10 mai 1595 mention est faite de deux setiers froment donnés au « passeur de Claix » (Archives inédites de l’évêché de Grenoble, délibérations capitulaires). Puis, le 10 novembre 1607, le Conseil d’Etat rend, sur la requête des riverains du Drac, un arrêt leur concédant le droit de construire un pont sur le torrent à la place du bac et port de Claix, à condition toutefois d’indemniser les propriétaires du bac (Lesdiguières en l’occurrence). Il s’agit là de l’acte fondateur de l’actuel pont de Claix ADI B 3397). L’indication « à la place » est à considérer avec précautions car il semble que le pont ait été construit à environ 60 en amont.
Quelques jours plus tard l’assemblée des Trois Ordres décide que pour dédommager M. de Lesdiguières, seigneur de Claix, du revenu qu’il perdra au port du lieu il sera établi à son profit sur le nouveau pont un droit de péage équivalent à celui qu’il percevait à raison du port (ADI B 3397).
Quarante ans plus tard, le 30 octobre 1647, le Chapitre Notre Dame de Grenoble fait encore référence au port pour s’exonérer des droits de pontonnage. En effet, cette exonération s’appuie sur le fait que le port de Claix appartenait depuis longtemps au Chapitre et qu’il n’avait été cédé aux auteurs du seigneur de Lesdiguières qu’en contrepartie d’une exemption de tous droits (Archives de l’évêché de Grenoble, délibérations capitulaires).
Voici pour ce qui concerne les textes historiques connus. Venons en maintenant à la description proprement dite de carte de 1754.
Autant que l’on puisse en juger – si toutefois les proportions de la carte sont correctes – le port se situait à environ 60 mètres en dessous du pont. Bien que traditionnellement on ait situé ce port sur la rive gauche, vers l’embouchure de la Suze (actes de 1273 et de 1341 appelés ci avant), la carte ne permet pas d’incliner pour la rive gauche plutôt que pour la rive droite. Il est du reste très possible que le port ait été double, avec un débarcadère rive gauche. Le bac était relié à un câble d’environ 120 mètres de longueur dont environ une cinquantaine de mètres sur le torrent, tendu entre les deux rives et l’on distingue rive gauche, au point d’arrivée du bac, un radier (représenté par un damier) sans doute pour compenser la différence de niveau entre les deux rives. Immédiatement à sa droite se distingue une voie qui rejoignait la voie royale. Peut être était-elle pavée et ce serait alors ce pavage qui aurait été exhumé sur une trentaine de mètres de longueur en décembre 2010.
Il est toutefois curieux d’imaginer que le bac ait pu cohabiter avec le pont. Pour quelle raison ? On notera que si la carte est datée de 1754, elle reproduit une situation de 1627 mais c’est une époque où le pont était ouvert à la circulation depuis 1611. Comme il percevait péage, on imagine mal qu’un bac ait été encore toléré. La précieuse carte montre également, rive droite du Drac, des vignes en coteau ainsi qu’une maison appartenant à M. de la Bâtie. Il s’agit là de Charles Aubert de la Bâtie qui avait acquis en 1746 des descendants de Lesdiguières la seigneurie de Claix et les possessions y afférents. De cette époque date une procédure engagée par M. de la Bâtie contre Antoine Amar, avocat au Parlement et directeur de la monnaie de Grenoble. |
Ce procès résultait des causes suivantes : du domaine acquis par M. Aubert dépendait notamment un grand pré fertilisé par l’eau d’un ruisseau appelé « les lavières de Champagnier » eu égard aux fait que les habitantes y faisaient leurs lessives. Or, pour l’établissement d’une chaussée coupant le cours du ruisseau, le fermier de M. Amar s’était avisé, à une date qui n’est pas connue, de rompre les canaux et conduits d’irrigation d’où la procédure susdite (ADI R 1955 X et Hd 472).
De ce fait et selon toute vraisemblance, cette précieuse carte contemporaine ou légèrement postérieure au procès (1754 ?) reproduit bien un état antérieur des lieux car elle figure également, perpendiculairement à la culée sud du pont, une digue sur le Drac, sans doute très antérieure. Le pont sur la Suze, encore partiellement visible de nos jours rue des Sources, est également repéré, de même que le rocher du Mollard contre lequel Vivian Pellorce détourna le cours du Drac en 1378-1379. Ce pont sur la Suze permettait alors à la voie royale de Grenoble à Vif et Monestier de Clermont de franchir le ruisseau.
Le coteau du Grand Rochefort apparaît également, du moins dans son actuelle partie claixoise. Il est alors vierge de végétation et de construction. Enfin, la carte représente également de façon explicite le four à chaux ayant servi à la construction du pont et dont les vestiges ont été remis au jour par M. Pietri dans sa maison de la montée Georges Tord.
Ainsi donc, grâce à cette carte, sommes nous aujourd’hui davantage éclairés sur cet immémorial et méconnu « port de Claix » sans pour autant qu’un point final ne puisse être mis sur son origine lointaine et sur son abandon.
Jean Claude Michel